#RUSSIE đŸ‡·đŸ‡ș Depuis sa prison, Vladimir Kara-Murza nous livre ses rĂ©flexions

À la fin de 2023, la course aux Ă©lections prĂ©sidentielles a commencĂ© en Russie : le 17 mars, le pays est supposĂ© « Ă©lire » son prĂ©sident. Pourtant, le gagnant est connu d’avance. Comment agir dans de telles conditions, alors que formellement il semble y avoir une chance de changement, mais qu’en rĂ©alitĂ© il n’y en a aucune, telle est la question principale de cette campagne Ă©lectorale paradoxale.

Que doit faire un Ă©lecteur ? Ă€ quoi s’attendre? Qu’est-ce qui est considĂ©rĂ© comme un succĂšs ?

En prĂ©vision du scrutin, le journal indĂ©pendant NovaĂŻa Gazeta a envoyĂ© des questions –tant de la rĂ©daction que des lecteurs– aux hommes politiques de l’opposition et Ă  des personnalitĂ©s publiques. A ceux qui sont libres et Ă  ceux qui sont en prison. Ils ont Ă©tĂ© interrogĂ©s sur les prochaines Ă©lections et le journal publie Ă  prĂ©sent leurs rĂ©ponses.

Voici la réponse du journaliste et historien Vladimir Kara-Murza, condamné par la justice aux ordres du Kremlin à 25 ans de prison pour soit-disant «trahison».

Photo : Gleb Chtchelkunov / Kommersant

« Merci beaucoup pour votre lettre et pour vos questions. Un merci spĂ©cial Ă  vous et Ă  vos collĂšgues pour avoir continuĂ© Ă  travailler en Russie. Je sais que c’est trĂšs important pour beaucoup. Ci-dessous, j’Ă©cris mes rĂ©ponses – d’abord au bloc de questions sur les «élections» du 17 mars, puis au bloc sur les erreurs des annĂ©es 90, les lustrations, etc. Serre-toi la main! »

Partie 1 : la Présidentielle en Russie

Il y a de nombreuses annĂ©es, j’ai visitĂ© le MusĂ©e national-socialiste de Cologne, situĂ© dans un ancien bĂątiment de la Gestapo. Ils ont une exposition large et trĂšs forte. Une exposition m’a particuliĂšrement marquĂ©. Il s’agissait d’un bulletin de vote d’un des nombreux « plĂ©biscites » des annĂ©es 1930 sur la confiance dans le FĂŒhrer, dans lequel quelqu’un avait soigneusement mis une croix dans la colonne « Nein ». Je l’ai regardĂ© et j’ai pensĂ© que cet homme, bien sĂ»r, n’avait pas empĂȘchĂ© les crimes que les dictateurs aiment tant commettre au nom du « peuple tout entier », mais au moins il leur a dit son « non » personnel et conscient. Et c’est dĂ©jĂ  un acte civil.

Il n’y a pas eu de vĂ©ritables Ă©lections dans notre pays depuis de nombreuses annĂ©es – la derniĂšre fois qu’une campagne ressemblant Ă  une compĂ©tition a eu lieu, c’Ă©tait dans les annĂ©es 1999-2000 (ce n’est pas mon avis Ă©valuatif – ce sont les conclusions des observateurs de l’OSCE). Tout ce qui suit n’est qu’un dispositif de « lĂ©gitimation » formelle du rĂ©gime avec divers degrĂ©s d’authenticitĂ© extĂ©rieure. Mais aujourd’hui, plus personne ne se soucie vraiment de la fiabilitĂ© externe. Mais les citoyens de notre pays auront nĂ©anmoins en mars l’occasion – particuliĂšrement importante dans les conditions […] – d’exprimer leur position, comme l’a fait cet habitant de Cologne dans les annĂ©es 30.

MĂȘme selon les sondages dĂ©libĂ©rĂ©ment dĂ©formĂ©s du VTsIOM, un organisme d’État, il y a des dizaines de millions d’opposants en Russie [
]. Peu de gens, dans des conditions de dictature et de rĂ©pression, sont prĂȘts Ă  prendre la parole publiquement ou Ă  se rendre sur la place, mais chacun peut rĂ©cupĂ©rer son bulletin de vote, rayer tous les candidats Z et y inscrire « Non [
] ». Et ce sera aussi un acte civil (au moment oĂč j’ai Ă©crit la lettre, la liste dĂ©finitive des candidats n’Ă©tait pas encore connue, mais je doute sĂ©rieusement qu’au moins une personne ayant une position anti-guerre y soit admise).

C’est prĂ©cisĂ©ment et exclusivement Ă  ce titre – en tant que forme de manifestation massive contre la guerre – que j’envisage les prochaines « Ă©lections ». Plus il y aura de tels bulletins dans les urnes (ils sont comptĂ©s sĂ©parĂ©ment dans la colonne des « invalides »), plus le mensonge de la propagande officielle sur le « soutien national » sera Ă©vident pour tous.

Et de vraies Ă©lections, sans guillemets, dans notre pays, je pense, auront lieu dans un avenir proche. Les soi-disant « petites guerres victorieuses » ont toujours Ă©tĂ© le moteur de graves changements politiques internes en Russie – rappelez-vous la CrimĂ©e, la Russie-Japonaise et l’Afghanistan. En tant qu’historien, je ne vois aucune raison pour que cette fois-ci ce soit diffĂ©rent.

Partie 2 : Regard rétrospectif sur les erreurs du passé

RĂ©cemment, il y a eu de nombreux dĂ©bats dans notre sociĂ©tĂ© sur les erreurs des annĂ©es 90 et les raisons de l’Ă©chec de l’expĂ©rience dĂ©mocratique. Ă€ mon avis, l’erreur la plus importante qui a prĂ©dĂ©terminĂ© tout ce qui se passe aujourd’hui est le refus de comprendre et de condamner pleinement les crimes de la pĂ©riode soviĂ©tique. AprĂšs l’effondrement du rĂ©gime soviĂ©tique, il Ă©tait absolument nĂ©cessaire d’ouvrir les archives, de condamner les crimes du PCUS et du KGB au niveau de l’État, de traduire en justice les auteurs de ces crimes et, grĂące Ă  la loi de lustration, de protĂ©ger les jeunes. la dĂ©mocratie de la possibilitĂ© d’une vengeance de la part des exĂ©cutants des politiques rĂ©pressives prĂ©cĂ©dentes.

De nombreux pays posttotalitaires – l’Allemagne aprĂšs le nazisme, l’Afrique du Sud aprĂšs l’apartheid, les États latino-amĂ©ricains aprĂšs les dictatures militaires – ont empruntĂ© cette voie de conscience nationale et de nettoyage moral de la sociĂ©tĂ©, sous une forme ou une autre. Les pays d’Europe centrale et orientale ont fait de mĂȘme aprĂšs la chute du communisme.

En Russie, cela a ensuite Ă©tĂ© proposĂ© par les dirigeants les plus clairvoyants du mouvement dĂ©mocratique – Vladimir Boukovski et Galina Starovoitova. Mais l’inertie de l’appareil bureaucratique et l’opposition des parties intĂ©ressĂ©es au sein du gouvernement et des forces de sĂ©curitĂ© se sont rĂ©vĂ©lĂ©es plus fortes. « Pourquoi remuer le passĂ©, il n’est pas nĂ©cessaire de lancer une chasse aux sorciĂšres », ont expliquĂ© les responsables de l’Ă©poque lors de conversations avec Boukovski. « Alors les sorciĂšres reviendront et commenceront Ă  vous chasser », rĂ©pondit-il. Et bien sĂ»r, il avait raison.

« Si le mal n’est pas compris, condamnĂ© et puni, il reviendra certainement. 

C’est exactement ce que nous voyons en Russie aprĂšs 2000. »

Nous devons tenir compte de l’amĂšre expĂ©rience des annĂ©es 90 et ne jamais rĂ©pĂ©ter cette erreur la prochaine fois qu’une fenĂȘtre d’opportunitĂ© de changement politique se prĂ©sentera dans notre pays.

PS :

Mes amis, je vous félicite sincÚrement pour la nouvelle année à venir !*
Je nous souhaite Ă  tous, ainsi qu’Ă  notre pays, paix, amour et changement en 2024. Bien entendu, cela se fera dans l’ordre inverse, car ce sera exactement ainsi. Certains diront que c’est un souhait impossible, mais en Russie, les changements commencent prĂ©cisĂ©ment au moment oĂč on s’y attend le moins. Faites confiance Ă  l’historien.

DerniĂšrement, je me souviens particuliĂšrement souvent de nos conversations avec Boris Nemtsov. Il se trompait rarement dans ses prĂ©visions et ses Ă©valuations – il n’est pas surprenant que ses vidĂ©os et ses interviews ne perdent pas en popularitĂ© aujourd’hui. Nemtsov a toujours dit : de sĂ©rieux changements politiques en Russie commenceront au milieu des annĂ©es 20.

Donc – Paix, LibertĂ© et Changement. Et une aube rapide. Il sera certainement lĂ . Avec mes chaleureuses salutations sibĂ©riennes.

Vladimir Kara-Murza

Colonie pénitentiaire IK-6, Omsk**
*La lettre a été envoyée en décembre 2023.
** Le lundi 29 janvier 2024, on a appris que Vladimir Kara-Murza avait Ă©tĂ© transfĂ©rĂ© de la colonie IK-6 d’Omsk vers un lieu encore inconnu.

En savoir plus sur Aleksander Glogowski

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Publié par Aleksander GLOGOWSKI

Permanent de la FĂ©dĂ©ration de Paris du PS đŸŒč Candidat socialiste aux EuropĂ©ennes de 2004, 2014 et 2019. #Europe Addict đŸ‡ȘđŸ‡ș Je me sens chez moi partout dans l'Union EuropĂ©enne. PĂšre de deux enfants.

Laisser un commentaire